Un sault dans l'histoire par Jean-Yves Pintal
 

introduction

Il y a de cela 25 ans, la région de Québec n’occupait qu’une place marginale dans le domaine de l’archéologie préhistorique. Certes, plusieurs sites étaient connus et quelques-uns étaient même cités en exemple dans les ouvrages de vulgarisation, mais il ne s’agissait, somme toute, que d’éléments épars perdus dans les synthèses relatives à la présence amérindienne au Québec. Cette situation ne découlait pas du fait que la région avait été négligée par les Amérindiens, bien au contraire, mais plutôt parce que l’on ne s’était pas attardé à son potentiel d’occupation préhistorique.

Depuis lors, les données se sont accumulées. Le statut de la région est lentement passé de Terra Incognita à celui d’un terreau riche en surprises qui livre régulièrement des sites uniques. Parmi ces derniers, plusieurs témoignent d’une adaptation humaine spécifique aux conditions environnementales particulières qui régnaient aux alentours de la Capitale avant l’arrivée des Européens.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la richesse archéologique de la région de Québec et, parmi ceux-ci, certains sont d’ordre environnementaux. Ainsi, le paysage y est dominé par le fleuve et ses nombreux affluents. Québec se positionnant à l’interface de l’estuaire et du fleuve, quiconque y habite peut profiter, sans avoir à se déplacer sur d’immenses distances, de la richesse de la mer, d’une part, et de la générosité du fleuve, d’autre part.

Par ailleurs, rarement avons-nous l’occasion de voir autant de rivières se jeter dans le fleuve sur une si courte distance. De ce fait, Québec est le point focal d’un vaste réseau de drainage qui couvre une grande partie de la province. Pour des Amérindiens qui considèrent les cours d’eau comme des voies de circulation, on peut dire que presque tous les chemins mènent à Québec. Le paysage se distingue aussi par les hautes falaises qui bordent le fleuve. Qui dit falaise entend rupture de pente et les rivières qui se jettent dans la région de Québec se caractérisent souvent par la présence de chutes ou de rapides à leur embouchure. Il s’agit là de milieux propices à la prolifération de la faune aquatique. De larges battures s’étendent également ici et là et elles constituent des zones de transition écologique très accueillantes pour la faune et la flore. Il en va de même pour l’espace compris entre le fleuve et la montagne, la plaine et le piedmont sont colonisés par une forêt mixte et habités par une faune toute aussi diverse.

De son côté, le substrat rocheux se caractérise par la convergence de deux grands ensembles, le Précambrien, dominé par des pierres dures comme le granite, et le Paléozoïque, formé de pierres tendres comme les schistes, les grès et les cherts. Cette dernière pierre, qui affleure en maints endroits dans la région, a été abondamment utilisée par les Amérindiens au cours des siècles et des millénaires. Ils ont trouvé là un matériau susceptible de combler une bonne partie de leur besoin en matière première afin de satisfaire ce fascinant aspect de leur technologie: la production d’outils en pierre.

Finalement, la région s’est surtout relevée à la suite de la fonte du glacier. Ce fait est important puisqu’il implique que les sites archéologiques préhistoriques perchent parfois à des altitudes élevées, par le fait même que peu d’entre eux ont été engloutis par les eaux du fleuve et donc, qu’ils sont toujours accessibles, bien qu’enfouis.

Outre ces caractéristiques environnementales, il est un facteur qui explique pourquoi le potentiel archéologique de la région est élevé et c’est le fait que plusieurs secteurs sont demeurés relativement intacts malgré le développement urbain des dernières années. Ce sont ces secteurs, principalement ceux localisés en périphérie de la ville de Québec, qui ont livré le plus de sites intacts et, parmi ces derniers, le cours inférieur de la rivière Chaudière se distingue des autres de par la quantité et la qualité des sites archéologiques découverts.

En effet, du fleuve au sault de la Chaudière, et de part et d’autre de l’embouchure de cette rivière, près de 25 occupations préhistoriques ont été localisées jusqu’à présent. Ces dernières témoignent de l’arrivée des premiers êtres humains au Québec jusqu’à la période des grands bouleversements, alors que les Européens s’installent à demeure dans la région. Ce faisant, ces occupations illustrent également toutes les phases de l’évolution de ces peuples autochtones, soit près de 9000 ans d’histoire. Rares sont les endroits dans le Nord-Est américain, en fait on peut les compter sur les doigts d’une main, où l’on trouve une telle concentration de sites archéologiques évoquant une si longue période d’occupation.

Il y de cela 25 ans, la préhistoire de la région de Québec se diluait, sans personnalité, dans celle de la plaine laurentienne. Aujourd’hui, les archéologues disposent d’une base de données qui leur permet d’évoquer le peuplement initial de la Province; des sites amérindiens anciens, qui comptent parmi les plus vieux connus au Québec, ont été trouvés dans la région. Puis, cette dernière serait devenue un lieu de fréquentation privilégié pour des autochtones dès 8000 ans AA.

Cette fréquentation s’est poursuivie, ne cessant d’augmenter et de se complexifier, les Amérindiens s’adaptant aux conditions changeantes de l’environnement et de leur milieu social. Lorsque les Européens arrivent en terre d’Amérique, ils rencontrent des peuples bien établis qui entretiennent des relations socioéconomiques étroites avec leurs voisins, parfois éloignés.
 
 

La chronologie de l’occupation amérindienne à l’embouchure de la rivière Chaudière


Les archéologues du Nord-Est américain divisent l’histoire amérindienne en quatre grandes périodes: le Paléoindien, l’Archaïque, le Sylvicole et l’Historique. Chacune de ces périodes occupe un intervalle temporel particulier et elles se distinguent les unes des autres par des traits matériels, comme la présence ou non de poterie ou d’un type particulier d’outils, ou encore par des activités socioéconomiques, telles que les modes d’établissement, de subsistance et de mobilité.

Aux temps des mers anciennes- la période paléoindienne (12 500 à 8000 ans AA)
Au début de cette période, alors que les glaciers recouvrent encore une grande partie du Canada, des groupes d’autochtones franchissent le détroit de Béring et ils s’installent en Alaska et au Yukon. Peu après, ils longeront la côte ouest, en utilisant certaines formes d’embarcations, pour aboutir en Colombie-Britannique et dans les États du Nord-Ouest américain. Vers 11 500 ans AA, ces Amérindiens, que l’on appelle Paléoindiens, occupent tout le sud des États-Unis. Au fur et à mesure que la fonte du glacier libère de nouveaux territoires au nord, et que ceux-ci deviennent habitables, les Paléoindiens les occupent. C’est ainsi qu’on les retrouve en Nouvelle-Angleterre et dans les provinces maritimes canadiennes vers 11 000-10 000 ans AA. Il semble que ces premiers colonisateurs pratiquaient un vaste nomadisme, ne demeurant que très peu de temps à chaque endroit. Un nouveau territoire s’ouvrait pour eux, un territoire non habité, inconnu, dont toutes les ressources demeuraient à découvrir. La base économique de ces gens reposait sur une exploitation intensive des grands mammifères terrestres, mais ils ont aussi exploité l’ensemble des autres ressources. Avec le temps, l’exploitation des ressources de la mer semble avoir occupé une place de plus en plus importante dans leur mode de vie. 

Ces Amérindiens utilisaient des matières premières lithiques très fines, comme des cherts, pour la confection de leurs outils en pierre. Ils paraissent avoir attaché une grande importance à ces types de pierres, puisqu’ils les utiliseront souvent quels que soient les lieux fréquentés.

 

Le Paléoindien ancien (12 500 à 9500 ans AA)

Actuellement, aucun campement datant du Paléoindien ancien n’a encore été formellement identifié au Québec. Pourtant, des sites archéologiques de cette période ont été trouvés pratiquement tout le long du pourtour sud de la province, de l’Ontario jusqu’au Nouveau- Brunswick, en passant par le Maine et le New Hampshire. Récemment, un site, hypothétiquement associé à la phase ultime du Paléoindien ancien (environ 9500 ans AA, a été découvert à l’embouchure de la rivière Chaudière (CeEt-657). Ce campement préhistorique, qui occupe environ 100 mètres carrés, n’a été que partiellement fouillé. On y a recueilli des milliers de déchets de la taille de la pierre et quelques dizaines d’outils. Les analyses préliminaires suggèrent la présence d’artisans affairés à produire des couteaux ou des pointes, tout en se livrant à des activités de nature domestique. La faible superficie fouillée limite, pour l’instant, les interprétations. Les analyses préliminaires ont permis de relier ce site archéologique à un autre localisé cette fois au Vermont, près de la baie Mississiquoi, à moins de 15 km de la frontière québécoise. Il semble que les rivages de la mer Champlain ont été occupés par ces groupes amérindiens qui ont pu en suivre les rives pour finalement aboutir dans la région de Québec. Si tel est effectivement le cas, il s’agirait là du plus ancien site archéologique au Québec. Si tel est effectivement le cas, ces Amérindiens auraient occupé la région alors que le niveau du fleuve était d’environ 50 mètres plus élevé que l’actuel. La rivière Chaudière était alors un fleuve et le fleuve une mer. À cette époque, le paysage différait nettement de l’actuel et si l’on était projeté à cette époque, on aurait de la difficulté à se reconnaître.
 

Le Paléoindien récent (10 000 à 8000 ans AA)

Plusieurs sites de cette période ont été découverts au Québec, plus particulièrement en Outaouais, sur la rive sud de Québec, dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Il semble qu’à cette époque les Amérindiens fréquentaient régulièrement les rives des mers Champlain et Goldthwait ou encore celles du lac à Lampsilis. 

Cinq de ces sites ont été localisés près de la rivière Chaudière et deux d’entre eux ont fait l’objet de fouille (CeEt-778 et CeEt-471). Dans le cas de ce dernier, la fouille de 15 mètres carrés permet de croire que les artisans se sont principalement installés là afin de tailler la pierre. Quant au site CeEt-778, il occupe environ 30 mètres carrés. Les archéologues y ont trouvé des milliers d’éclats, déchets de taille de la pierre, et quelques dizaines d’outils (pointe, couteau, foret, grattoir, racloir, vastringue, ciseau). Qui plus est, la répartition spatiale de ce matériel laisse croire en la présence d’une habitation. Les analyses préliminaires identifient ce campement comme une zone d’activités spécialisées, des artisans s’y affairaient à produire des armatures de lance et des hampes de bois en préparation pour la chasse. Comme ce site occupe ce qui était alors une île, il a été proposé que ces gens s’apprêtaient à chasser les mammifères marins. Les sites du Paléoindien ancien sont relativement similaires et on les trouve à la grandeur du Nord-Est américain. De leur côté, les sites du Paléoindien récent semblent se concentrer dans la partie nord de ce territoire, comme si une culture particulière avait trouvé là les conditions nécessaires à son développement.

La transformation du paysage- la période archaïque (9500 ans AA à 3000 ans AA)

 Le concept d’Archaïque couvre une période si vaste (9500 à 3000 ans AA) qu’il est déraisonnable de croire qu’une seule culture y soit associée. D’ailleurs, la multitude et la variabilité des assemblages matériels que l’on associe à cette période témoignent de multiples trajets culturels. C’est pourquoi les archéologues subdivisent habituellement l’Archaïque en trois épisodes: ancien (9500 à 8000 ans AA), moyen (8000 à 6000 ans AA) et récent (6000 à 3000 ans AA). 

Au cours de l’Archaïque, les Amérindiens vont s’adapter à des conditions climatiques qui se transforment continuellement. De plus en plus chaud jusque vers 6000-5000 ans AA, le climat se refroidit légèrement par la suite. Pendant ce temps, la partie sud du Québec, maintenant débarrassée de sa gangue de glace, s’est stabilisée et le paysage de l’époque s’apparente à l’actuel. Avec la fonte du glacier qui se poursuit jusque vers 6000 ans AA au centre du Québec et qui, se faisant, ouvre de nouvelles régions, les populations coloniseront des territoires de plus en plus vastes et vers 3500 ans AA le Québec aura été en grande partie exploré. Parallèlement à cette adaptation, un processus d’identification culturelle semble s’installer. Ainsi, on observe, au fil des siècles et des millénaires, que des groupes spécifiques exploitent des environnements de plus en plus particuliers. On parle d’un Archaïque maritime dans le golfe du Saint-Laurent, d’un Archaïque laurentien dans la vallée du Saint-Laurent et d’un Archaïque du Bouclier dans le Subarctique.

L’Archaïque ancien (9 500 à 8 000 ans AA)

Curieusement, alors que les données relatives à l’occupation paléoindienne s’accumulent au Québec, celles relatives à l’Archaïque ancien demeurent rares. Les raisons sous-jacentes à ce phénomène relèvent probablement des difficultés qu’éprouvent les chercheurs à clairement distinguer les assemblages de cette période. Jusqu’à tout récemment, les archéologues américains du Nord-Est éprouvaient les mêmes difficultés que leurs confrères du Québec. Toutefois, l’identification d’une nouvelle tradition culturelle, l’Archaïque du golfe du Maine, a permis de préciser la nature des occupations amérindiennes de l’Archaïque ancien. Cette tradition repose, entre autres, sur le recours au quartz afin de produire de nombreux outils unifaciaux (grattoirs, racloirs, etc.) et de rares outils bifaciaux. Dans les États du Nord-Est américain, les sépultures individuelles sont relativement abondantes et elles s’accompagnent d’un nombre élevé d’offrandes qui se présentent sous la forme d’outils polis. Au cours des dernières années, quelques sites archaïques ont pu être datés de l’intervalle 9500 à 8000 ans AA au Québec. Ces derniers sont principalement localisés dans la région de Québec et en Côte-Nord. Ces sites offrent certaines similitudes avec la tradition technologique sous-jacente à la définition de l’Archaïque du golfe du Maine (usage abondant du quartz et prédominance des outils unifaciaux). Toutefois, au Québec, les sépultures demeurent rares, tout comme la pierre polie, par contre les assemblages semblent livrer davantage d’outils bifaciaux. Plusieurs sites de cette période ont été localisés de part et d’autre de la rivière Chaudière. L’un d’entre eux, CeEt-472, s’articule autour d’un foyer central, témoin de la présence d’au moins un établissement domestique à cette époque. À l’intérieur de ce foyer, on a trouvé des os calcinés et leur identification révèle la capture d’ours, de castor, de phoque, de tortue et d’un oiseau. D’autres sites, plus petits, témoignent de la présence de campements satellites, établis en périphérie des campements principaux. Ils devaient surtout servir à exploiter le territoire limitrophe afin d’approvisionner le camp principal. Au cours de cette période, la région de Québec apparaît comme un lieu privilégié d’établissement. On ne peut pas encore parler de la présence d’une population résidente, mais des groupes amérindiens y circulent de plus en plus fréquemment. Le territoire parcouru par ces groupes demeure vaste. Il est possible que la région de Québec ait alors agi comme point de pivot dans leur déplacement puisque le fleuve Saint-Laurent semble avoir joué un rôle particulier dans la présence de ces groupes au Québec.

L’Archaïque moyen (8000 à 6000 ans AA)

 Aucun site de cette période n’a encore été formellement identifié dans la région de Québec. Il est possible que nos connaissances sur la préhistoire de la région soient encore trop parcellaires, limitant en cela notre capacité à identifier correctement ces campements. Il est un fait dont il faut tenir compte, au cours de l’Archaïque moyen le niveau du fleuve n’était que de quelques mètres plus haut que l’actuel. Il est donc possible que le matériel archéologique de cette période soit mêlé à celui de sites plus récents installés au même endroit.

L’Archaïque récent (6000 à 3000 ans AA)

À partir de cette période, et ce, jusqu’à l’arrivée des Européens, l’occupation amérindienne de la région n’aura de cesse. Au Québec, les sites de l’Archaïque récent ne sont pas rares, mais ils ne sont pas légion non plus. Près de la Chaudière, une demi-douzaine ont été formellement identifiés, et plusieurs autres, qui n’ont pas encore livré d’objets diagnostiques, s’ajouteront éventuellement à cette liste. Il s’agit donc là d’une concentration remarquable qui mérite que l’on s’y attarde. Toutefois, peu de fouilles ont été effectuées sur les sites de cette période ce qui nous oblige à en traiter de manière générale, en fonction des données accumulées ailleurs au Québec et dans le Nord-Est américain. C’est au cours de cette période que le climat atteindra son maximum; il fait alors un peu plus chaud que le climat actuel. Une forêt similaire à celle qui prévaut aujourd’hui s’installe. Toutes les conditions sont remplies pour que les activités humaines se multiplient. On note l’usage d’une grande variété de matières premières lithiques, signe de multiples influences dont les principales pointent vers les États du Nord-Est américain. La panoplie habituelle des outils est représentée, en plus d’un nombre croissant d’objets polis, comme les haches, les gouges, les herminettes, etc. La découverte de baïonnettes en pierre polie dans le secteur de la côte Rouge à Saint-Romuald y suggère la présence de sépultures amérindiennes similaires à celles trouvées dans le Nord-Est. Le réseau interactif des Amérindiens est toujours aussi vaste mais les archéologues ne parviennent pas encore à identifier la présence formelle de groupes locaux.

Une ère d’abondance-la période sylvicole (3000 ans AA à environ 1534 ans AD)

La période sylvicole correspond à l’introduction de la céramique dans la culture matérielle des Amérindiens. Elle coïncide également avec une phase de croissance démographique qui culminera au XVIe siècle, date de l’arrivée des Européens en Amérique. Si, auparavant, les conditions environnementales pouvaient influencer davantage le développement des systèmes socio-économiques des autochtones, à partir de maintenant les relations sociopolitiques prendront le dessus. En effet, le territoire québécois étant maintenant entièrement occupé, à tout le moins fréquenté sur une base régulière, les déplacements et les échanges s’inscrivent à l’intérieur d’un réseau d’échanges et de rapports sociaux dont l’évolution mènera lentement à la définition du territoire des Premières Nations de l’époque historique.

Le Sylvicole inférieur (3000 à 2400 ans AA)

Au cours du Sylvicole inférieur, la céramique nouvellement arrivée joue un rôle secondaire dans la culture matérielle des autochtones et les modes de vie ne sont pas sensiblement différents de ceux qui prévalaient auparavant. On note que les ressources aquatiques, surtout les poissons, semblent occuper une place grandissante dans la diète amérindienne. Le système de mobilité territoriale, qui auparavant comprenait de nombreux déplacements sur un territoire somme toute assez vaste, fera graduellement place à une mobilité plus réduite. Les Amérindiens ne s’installent pas encore à demeure en certains endroits, mais ils les fréquentent plus souvent et les sites apparaissent plus vastes. Ce sont là des signes de la mise en place d’une exploitation de plus en plus intensive d’un territoire, et ce, en réponse à l’augmentation de la démographie et des rapports territoriaux plus étroits établis par certaines familles. Le long de la rivière Chaudière, les sites de cette période sont tout aussi abondants, sinon plus, qu’au cours de l’épisode précédent. En fait, on en trouve une telle quantité qu’il y a lieu de croire que ces Amérindiens ont fait de Québec un de leur lieu privilégié d’établissement. La céramique n’est pas toujours présente dans les assemblages, mais, lorsque l’on en trouve, les vases présentent une base conique, un col droit ou légèrement évasé, et ils sont très rarement décorés. Les matières premières lithiques utilisées pour la confection des outils sont souvent exotiques, reliquat probable du vaste réseau d’échanges qui semble avoir été mis en place au cours de la période antérieure. Le quartzite de Mistassini est trouvé sur une base régulière, indice des rapports étroits qui relient les groupes de l’intérieur des terres à ceux qui fréquentent le littoral, probablement via le lac Saint-Jean et Tadoussac.

 Ce qui distingue surtout cette période, c’est l’épisode Meadowood, une tradition culturelle qui se distingue par son abondante production d’outils en pierre et par l’enterrement des cendres des morts dans des fosses. On croyait cette tradition réservée à des territoires plus méridionaux, mais des artefacts associés à cette phase culturelle ont été trouvés en maints endroits sur la rive sud, et plus particulièrement à Saint-Nicolas. Il s’agit là d’un indice de la mise en place d’un réseau d’influence qui irradie à partir de la région des Grands Lacs pour atteindre la région de Québec, où cet épisode culturel semble avoir trouvé un terreau favorable pour se développer.

Le Sylvicole moyen (2400 à 1000 ans AA)

Au cours du Sylvicole moyen, on note l’émergence d’une certaine forme de sédentarité basée sur une exploitation de plus en plus spécialisée des ressources aquatiques. Les sites sont plus abondants, indices d’une exploitation saisonnière récurrente des ressources locales. Cette relative sédentarité génère un usage plus diversifié des ressources locales. Plusieurs sites de cette période ont été identifiés le long de la rivière Chaudière.  

La céramique, maintenant abondante, se présente sous la forme de vases ayant une forme plus globulaire, un col un peu plus étroit et un bord souvent marqué d’un parement. Les décorations sont parfois abondantes, baroques mêmes. Les fabricants d’outils ont toujours recours aux matières premières lithiques locales, mais aussi à d’autres, exogènes, comme les quartzites de Mistassini et de Ramah. Le réseau d’affinités des autochtones qui fréquentent la région de Québec s’étend de Tadoussac jusqu’à l’Ontario et du nord-est des États-Unis au grand lac Mistassini.

Le Sylvicole supérieur (1000 ans AA à 1534 AD)

C’est au cours de cette période que les Amérindiens qui fréquentent la région de Québec vont lentement adopter l’agriculture. Comme les terrains propices au type d’agriculture qu’ils pratiquent se concentrent sur la rive nord, c’est surtout là que les archéologues ont trouvé des vestiges de leur campement. La rive sud n’est pas négligée pour autant, mais les campements y apparaissent plus petits, comme s’il s’agissait d’éléments satellites aux villages établis sur la rive nord. 

Au cours du Sylvicole supérieur, la vallée du Saint-Laurent est occupée par des Amérindiens que l’on appelle Iroquoïens du Saint-Laurent. Ce sont des agriculteurs que l’on peut diviser en deux groupes distincts, les Hochelaguiens (ouest) et les Stadaconéens (est). Parmi eux, les Hochelaguiens étaient les plus nombreux et il semble qu’ils dépendaient davantage de leur récolte. De leur côté, les Stadaconéens, qui devaient conjuguer avec des conditions climatiques moins clémentes, recouraient davantage à la chasse et à la pêche. La céramique est maintenant omniprésente dans les sites de cette période. Elle a une forme globulaire, un col nettement plus étroit et un bord la plupart du temps marqué d’un parement décoré. La taille de la pierre est toujours pratiquée, mais elle semble tomber lentement en désuétude. Leur sphère interactive s’apparente à celle décrite précédemment. Toutefois, avec l’arrivée des Européens dans le golfe du Saint-Laurent au XVIe siècle, les Amérindiens de la région de Québec effectueront des incursions dans cette direction afin de profiter des nouvelles possibilités d’échange qui s’offrent à eux. Il semble que ces incursions en territoire algique déplairont aux groupes autochtones déjà présents et que ces derniers, dans le but de contrôler cette nouvelle richesse matérielle en provenance d’Europe, chasseront les Hochelaguiens de leur terre.

Le temps des grands changements - la période historique (1534 à 1760 A.D.)

Les Montagnais
Lorsque Jacques Cartier explore les environs de Québec en 1534, il rencontre des groupes associés aux Iroquoïens du Saint-Laurent, répartis en plusieurs villages. Ce sont les descendants des groupes identifiés au cours du Sylvicole supérieur et ils pratiquent le même mode de vie. Dans la région de Québec, les villages ne sont pas ceinturés de palissade, ce n’est pas une terre de conflit. Dans la région de Montréal, les villages sont munis de palissades, et ce, dès l’époque préhistorique, des conflits y couvent depuis un certain temps. Lorsque Champlain arrive dans la région en 1603, les Iroquoïens ont disparu, ce sont plutôt des Algonquiens qu’il rencontre dans la région de Québec. Que s’est-il passé? La question reste ouverte, mais il est probable que l’arrivée des Européens, Basques, Bretons et Normands, dans le golfe du Saint-Laurent au début du XVIe siècle ait avivé des tensions entre ces deux grands groupes culturels, ou entre les nations iroquoïennes ennemies, possiblement reliées au désir de contrôler la distribution des biens de traite apportés par les Européens. Cette guerre commerciale aura pour conséquence le démantèlement de la société des Iroquoïens du Saint-Laurent, et, selon toutes apparences, ces derniers s’intégreront aux groupes voisins. À la suite du retrait des Iroquoïens, de nombreux groupes amérindiens, comme les Micmacs, les Malécites, les Algonquins et surtout les Montagnais occuperont les rives du Saint-Laurent maintenant délaissées par ses anciens occupants.

 À la suite de l’établissement des Français à Québec, le mode d’occupation autochtone va se transformer graduellement. Certes, les Amérindiens profitent toujours de leur passage afin de se livrer à la pêche, à la chasse et à la traite, mais lentement cette présence va dépendre davantage des nouveaux rapports qui s’établissent entre autochtones et Européens, des rapports de nature religieuse, militaire, diplomatique. Néanmoins, jusqu’au XVIIIe siècle, les Amérindiens ont pu occuper certains secteurs de la rive nord du fleuve, mais les données disponibles font davantage état d’une présence sur la rive sud, notamment à Pointe-Lévy.

Les Hurons/Wendats
En 1649, les Hurons/Wendats, localisés dans le secteur de la baie Georgienne en Ontario et alliés des Français sont défaits par les Iroquois ce qui résulte en une diaspora des survivants. Parmi ces derniers, un groupe vient s’installer dans la région de Québec. À leur arrivée, les Hurons/Wendats, un peuple d’agriculteurs et de commerçants, s’apparentant en cela aux Iroquoïens du Saint- Laurent, pratiquent toujours leur mode de vie ancestrale. Ils défrichent donc les terres mises à leur disposition et en entreprennent la culture. C’est une des raisons pour laquelle ils déplaceront régulièrement leur campement dans les années à venir. C’est ainsi qu’on les retrouve successivement à l’île d’Orléans (1651-1656), à Québec (1656-1668), à Sainte-Foy (1669-1673) et à l’Ancienne Lorette (1673-1697). Ils ne s’installent définitivement à Wendake qu’à partir de 1697. Les raisons sous-jacentes à l’établissement de leur village à cet endroit demeurent obscures. En effet, ce secteur n’est pas des plus propices à l’agriculture. Il est possible qu’ils l’aient choisi parce que la chasse et la pêche prennent alors de l’importance, au détriment de l’agriculture, dans cette société soumise à un véritable désastre démographique. En effet, de plus de 10 000 qu’ils étaient avant la venue des Européens, seules quelques centaines d’individus vont survivre aux maladies et à la guerre. Bien qu’ils soient venus se réfugier près des Français, les Hurons sont encore soumis aux attaques des Iroquois et leur groupe qui a pu compter jusqu’à 600 personnes au cours du Régime français n’en comptera plus qu’une centaine au moment de la conquête anglaise.

 Il importe ici de signaler que le statut des Wendats diffère alors de celui des colons canadiens. Dans la plupart des cas, ces derniers sont soumis au régime seigneurial, c’est-à-dire qu’ils doivent payer un dû à leur seigneur. Les Wendats ne sont pas des censitaires, ils ont été accueillis dans la région à titre de nation amie et ils ont conservé ainsi toute leur souveraineté. C’est à titre d’alliés qu’ils participaient à la guerre avec les Français. Vers la fin du XVIIe siècle, les Wendats sont installés à Wendake, sur des terres concédées par les Français. Au début, ils construiront des maisons longues, comme ils avaient l’habitude de le faire, et ils pratiqueront l’agriculture; certains posséderont même quelques animaux. Lentement, ce mode de vie ancestrale se modifiera pour laisser davantage de place aux influences françaises, notamment dans l’habillement et le style des maisons, d’où l’abandon des maisons longues. L’influence française se fera également sentir dans les pratiques agricoles, puisque les hommes commenceront à s’y adonner. Toutefois, ces derniers préféreront la chasse, la pêche et la trappe, ce qui permettra aux Wendats de continuer à participer à la traite des fourrures, un apport économique indéniable. Ils se livreront à ces activités sur les terres qui leur ont été concédées, mais aussi bien au-delà, notamment sur la rive sud. Ainsi, les Hurons/Wendats ont sûrement exploité le bassin de la rivière Chaudière, mais probablement sur une base moins intensive par rapport à leur présence sur les territoires de la rive nord qui leur ont été dévolus suite à l’entente huronne/algonquine.

Les Abénaquis
Parallèlement à cette présence wendate dans la région de Québec, il est un autre groupe d’Amérindiens qui vient s’y installer, les Abénaquis. Avant l’arrivée des Européens, ces derniers vivaient principalement au Maine. Il s’agit d’un peuple qui parle une langue affiliée à l’algonquien. Leur économie repose principalement sur la chasse, la pêche et la cueillette, bien que les groupes localisés plus au sud aient également pratiqué l’horticulture. L’histoire des Abénaquis est étroitement liée au conflit des empires français et britannique. Les Britanniques se sont installés à proximité des territoires fréquentés par les Abénaquis et cette proximité a souvent dégénéré en guerre. Les rapports avec les Français étant avant tout d’ordre économique et religieux, les Abénaquis les ont davantage appuyés, ce qui a fait d’eux d’importants partenaires. Ils venaient souvent visiter la mission de Sillery et portaient en haute estime les Jésuites et les Amérindiens convertis. Les incessantes guerres avec les Anglais ont poussé certains groupes abénaquis a quitter leur territoire ancestral pour s’installer en Beauce et dans la région de Québec, où devant leur nombre sans cesse croissant, une mission spécifique leur sera aménagée près de l’embouchure de la rivière Chaudière en 1683. Cette mission sera florissante pendant plus d’une décennie et elle aurait alors accueilli plus de 1000 âmes. À la demande du Gouverneur, la mission sera fermée en 1700 et certains Abénaquis s’installeront alors à Odanak et à Wolinak, là où certains des leurs sont déjà établis. Ces lieux d’établissement pour les Abénaquis n’ont pas été choisis au hasard par les Français, au contraire, ils permettent un contrôle géopolitique sur les rivières Chaudière, Bécancour et Saint-François, d’importantes voies de pénétration pour les Iroquois et les troupes anglaises.

Malgré ce déménagement, les Abénaquis continueront à fréquenter la Beauce sur une base régulière, et quand régnait la paix avec les Anglais, ils retournaient vivre sur leur territoire traditionnel au Maine. Mais la guerre y étant endémique, les Abénaquis quittèrent peu à peu cette région pour s’installer en Beauce et sur les rives du lac Saint-Pierre. À la veille de la conquête britannique, peu d’Abénaquis vivent encore au Maine. Les Abénaquis continueront d’exploiter le bassin de la rivière Chaudière jusqu’au XIXe siècle et ils seront toujours présents dans la région de Québec tout au cours du XXe siècle, entre autres parce qu’ils venaient y vendre leur artisanat, mais aussi dans le cadre de leurs dévotions à Sainte-Anne.

Tableau de datation des différentes périodes culturelles relatives à la présence amérindienne


Datation Période culturelle
À partir de l’an 1534 Amérindien historique
1 000 AA Sylvicole supérieur
2 000 AA Sylvicole moyen
3 000 AA Sylvicole inférieur (Meadowood - Middlesex)
4 000 AA Archaïque post-laurentien (Lamoka, Susquehanna)
5 000 AA  Archaïque laurentien
6 000 AA (Vergennes, Brewerton)
7 000 AA Archaïque moyen
8 000 AA Archaïque ancien
9 000 AA Paléoindien récent
10 000 AA Paléoindien ancien

                        Note : Par convention, AA, qui signifie avant aujourd’hui, réfère à avant 1950.

Bibliographie - cliquez ici